Notes et indications qui peuvent être utiles aux professeurs d’histoire pour mieux cerner le thème qu’ils sont amenés à mettre en œuvre notamment avec leurs élèves des classes de première. 

Le thème amène au concept de totalitarisme, aux débats historiographiques et aux controverses qui s’y associent depuis plusieurs décennies. Ces débats portent sur la genèse du totalitarisme, sur l‘éventualité d’un modèle totalitaire unique fondé sur les points communs des régimes totalitaires ou, à l’inverse, sur leurs spécificités et donc leur différenciation. L’historiographie est donc assez riche et complexe mais on peut aisément en dégager les grandes lignes.

Le terme « totalitaire » apparaît en 1924, dans le contexte du fascisme italien qui s’affirme et dans les propos de l’opposant Giovanni Amendola. En 1930, dans La Doctrine fasciste, Mussolini qualifie lui-même le fascisme de totalitaire. En 1940, dans L’Ennemi totalitaire, Franz Borkenau compare et différencie déjà les trois régimes totalitaires. En dépit de cette contribution importante d’ailleurs soulignée par l’historien franco-polonais Krzysztof Pomian, on considère que la conceptualisation du

totalitarisme est le fait de Hannah Arendt avec Les origines du totalitarisme qui paraît en 1951 et dans lequel elle appuie son analyse sur la terreur. Le concept du totalitarisme est ensuite progressivement développé jusqu’à être fixé par Carl Friedich puis au travers des « cinq éléments » de Raymond Aron pour qui le socle d’un régime totalitaire est l’idéologie érigée en doctrine (Démocratie et totalitarisme 1965). Raymond Aron prend cependant bien soin de distinguer le nazisme du stalinisme. Dès les années 1950 et dans le contexte de la guerre froide, le concept totalitaire est souvent contesté par de nombreux intellectuels qui peuvent voir dans le rapprochement du nazisme et du stalinisme des arguments essentiellement anticommunistes et relais du maccarthysme. En 1973, la publication à Paris de l’Archipel du Goulag de Alexandre Soljenitsyne ouvre, malgré de vives critiques, la voie à un vaste courant dénonçant le totalitarisme soviétique et sur la remise au goût du jour du concept totalitaire. A la fin des années 1980 et à l’aube de l’effondrement du communisme en Europe, Ernst Nolte provoque une forte controverse avec La Guerre civile européenne (1989), ouvrage dans lequel il avance l’idée d’un lien de cause à effet entre le bolchévisme et le nazisme. Selon lui, les régimes fascistes allemand et italien constituent une réaction logique à la terreur bolchévique. En France, cette idée est relayée par François Furet pour qui « L’ambiguïté du fascisme tient à ce qu’il est né comme frère ennemi du communisme » dans Le passé d’une illusion (1995). Toutefois, Furet s’est démarqué de son correspondant allemand sur ses arguments expliquant l’antisémitisme. En effet, selon Nolte, l’antisémitisme nazi découle de l’antimarxisme et Auschwitz apparaît comme une réaction au Goulag.

Les fondements du totalitarisme sont donc également l’objet de débats parfois houleux entre les historiens, l’étude des origines des régimes totalitaires les amenant le plus souvent à la différenciation. Franz Borkenau insistait sur l’antichristianisme comme essence du totalitarisme sans que cela ne puisse s’appliquer au régime fasciste italien. D’autres situent les prémices du fascisme dans le XIXème siècle français. Ainsi, Zeev Sternhell a pu créer une vaste polémique en allouant à l’ensemble des mouvements européens de la droite nationaliste et révolutionnaire des sources françaises anciennes allant du nationalisme jacobin aux ligues antisémites dans le contexte de l’affaire Dreyfus. Il s’oppose à l’approche de Georges Mosse qui partage avec Sternhell sa thèse mais qui pense que la « brutalisation » provoquée par la Première guerre mondiale sur les sociétés européennes constitue le germe véritable des totalitarismes et de leur violence légitimée. Après 1990, le concept de totalitarisme fondé sur les points de comparaison reste en vigueur mais les analyses sont plus nuancées. Elles amènent davantage à la diversité des totalitarismes et à la mise en lumière de leurs différences profondes. Par exemple, la volonté de forger l’homme nouveau apparaît bien commune aux trois régimes totalitaires. Pourtant, si les fascismes ont l’ambition de créer un homme nouveau qui soit un guerrier défendant un idéal racial, l’ « homo sovieticus » est lui, supposé être un travailleur humaniste et universel. En 1997, Le Livre noir du communisme créé de nouvelles polémiques relatives aux similitudes entre le nazisme et le totalitarisme soviétique. Ainsi, la terreur de masse comme point commun majeur reste au cœur des débats. Pourtant, les crimes du régime soviétique qui découlent du projet d’uniformisation sociale peuvent-ils être assimilés à la volonté génocidaire qui anime le nazisme ? Pour Ian Kershaw, « le nazisme fut véritablement unique » (dans Esprit N°298, janvier – février 1996). De même, pour l’historien anglais, le nazisme est étroitement associé à Hitler et à son charisme alors que le totalitarisme soviétique était antérieur à Staline et lui a survécu.

Le débat se prolonge dans l’analyse des rapports entre les totalitarismes et les démocraties libérales dans les années 1930. L’analyse ne se limite pas aux coups de forces successifs des régimes totalitaires devant lesquels les démocraties libérales montrent une certaine passivité. La confrontation a d’abord lieu là où le totalitarisme s’impose à la démocratie donc en Italie et en Allemagne. Dans les Etats restés démocratiques, la tentation fasciste est forte (Ligues en France, BUF au Royaume-Uni). De la même façon, les partis communistes liés par la IIIème Internationale y mènent une propagande très agressive. La discussion porte aussi sur la connivence des « jumeaux ennemis » (François Furet) contre la démocratie lorsque Staline et Hitler signent le Pacte germano-soviétique.

Il s’agit donc d’un sujet complexe que les enseignants doivent traiter dans un temps restreint. Dans les programmes des classes de première, le pluriel figurant dans l’intitulé « Le siècle des totalitarismes » évite d’entrer dans le champ du concept de totalitarisme pour privilégier la genèse, les points communs et les spécificités des régimes totalitaires. L’intérêt fondamental de l’étude des totalitarismes réside dans la compréhension d’un XXème siècle marqué par la violence, la guerre et la confrontation idéologique. L’étude doit permettre à l’élève de saisir toute l’importance des valeurs démocratiques.

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